LA LÉGENDE DE SAINT-FIACRE

La légende de Saint Fiacre ...

Les légendes de la vie de Saint Fiacre sont nombreuses. Voici celle que nous donne, en 1829, l’historien provinois Michelin.

« ……. Un ermite célèbre est regardé comme le fondateur de ce village, c’était un Irlandais appelé Fèfre dont le nom a été converti en celui de Fiacre. Cet ermite, né de race royale, fut élevé par Saint Conan, évêque de Sadorre qui jeta  de profondes racines dans son cœur. Elles fructifièrent de telle sorte que, bientôt, il abandonna, sans la moindre réserve, tout ce que les qualités  du corps et de l’esprit, jointes à une auguste naissance, pouvaient lui promettre de plus flatteur et de plus brillant dans le monde.

Il vint en France, auprès de Saint Faron, évêque de Meaux, qui lui donna la terre de Breuil, dans les environs de sa terre épiscopale. Là, le prince anachorète vécut du travail de ses mains et se construisit un oratoire dans lequel les étrangers étaient accueillis.

Il soignait les malades et guérissait miraculeusement  un grand nombre d’infirmités.

Les femmes étaient  sévèrement exclues de son ermitage. Elles lui adressaient leurs vœux en dehors et ne dépassaient jamais le seuil.

Il paraît que cette règle avait été imitée de celle de Saint Colomban, mais on l’a expliquée par une aventure à laquelle se rapportent deux miracles qui contribuèrent à étendre singulièrement la réputation de l’ermite :

Saint Fiacre était, dit l’historien du diocèse de Meaux (1), fort à l’étroit dans sa solitude, de sorte que, dans certains temps où les hôtes lui survenaient en plus grand nombre que de coutume il ne pouvait ni les nourrir, ni les loger tous.  Saint Faron, à qui il fit part de sa peine, lui accorda dans la forêt voisine, tout le terrain qu’il pourrait défricher et environner de fossés pendant vingt-quatre heures.

Sur cette parole, le Saint part : il trace sur la terre, avec sa bêche, l’enceinte qu’il se propose de joindre à son ermitage.

A mesure qu’il avançait, les arbres tombaient de part et d’autre et le fossé se creusait de lui-même.

Il y avait là, par hasard, une femme à qui le menu peuple a donné le surnom de Becnaude, mot injurieux qui est encore en usage dans quelques provinces de la France. Etonnée de ce prodige dont elle ne connaissait pas la cause, elle chargea le saint d’opprobres et courut l’accuser de magie et de sortilège devant Saint Faron qui retournait à Meaux. Le Saint évêque revient aussitôt sur ses pas ; Fiacre, livré à la tristesse, abandonne son ouvrage et s’assied sur une pierre qui se trouvait auprès de lui : la pierre s’amollit comme la cire et reçoit l’empreinte de son corps.

Ce second miracle auquel il ne s’attendait pas lui-même fait éclater  son innocence. Saint Faron en glorifie le Seigneur et l’injuste accusatrice est confondue. On conserve depuis plusieurs siècles, dans le monastère de St Fiacre, une grosse pierre de figure ronde et creusée vers le centre de sa surface ; elle est placée à main gauche en entrant dans la nef de l’église qui porte aujourd’hui son nom quoique dédiée sous l’invocation de la Sainte Vierge… ».

Complétons cette histoire par les miracles que nous conte Roger Lecotté :

Le roi, son père, venant à mourir … «  des ambassadeurs écossais prennent la route pour offrir la couronne à St Fiacre mais le solitaire, pour les décourager, prie Dieu de lui envoyer la lèpre, laquelle guérit dès que la délégation a repris le chemin de l’Ecosse.

Bientôt le bienheureux aura la révélation du jour de sa mort. Il prévient Saint Faron. Sur le chemin du retour, Saint Fiacre, épuisé et assoiffé, s’arrête aux Mimeaux et prie.

C’est alors que l’eau de source jaillit, cette même eau qui ne cesse de couler à la Fontaine Saint Fiacre depuis 670. »

Parmi les variantes inévitables de la légende de St Fiacre on peut citer celle de sa naissance : certains auteurs le donnent comme étant le fils du roi d’Ecosse Eugène IV (2).

A son arrivée en France, il aurait été accompagné de sa sœur Syre (laquelle deviendra Ste Syre) et que St Faron envoya à l’abbaye de Faremoutiers nouvellement fondée par la sœur de l’évêque Ste Fare. (L’on suppose d’ailleurs que cette dernière a habité Poincy.)

On attribue à St Fiacre un premier miracle alors qu’il était au monastère auprès de St Faron : des tonneaux vides se remplissent de vin à sa prière.

Enfin, l’interdiction faite aux femmes de pénétrer dans son ermitage  persiste après sa mort : « On raconte qu’en 1622, une parisienne du faubourg St Germain enfreignit la règle et pénétra dans la chapelle du saint ; sur le champ, elle en fut punie ; frappée d’un accès de fureur, elle devint folle et sa folie dura le reste de sa vie. »

Je passerai sous silence les tribulations des reliques du saint dues tant aux guerres de Religion et à la Révolution qu’aux exigences pressantes de personnages de haut rang.

On admet que dès 1234, lors de la mise en reliquaire du corps de vénéré, les pèlerinages prirent leur essor. Dans cet esprit une communauté de religieux fut établie au village de St Fiacre en 1313.

En 1478, Louis XI offrit au prieuré une châsse richement décorée (3). La reine Anne d’Autriche vint, parait-il, faire un pèlerinage à St Fiacre pour obtenir, après 18 ans de mariage, de donner un héritier à la couronne de France. A la même époque, et dans la même intention, elle alla, nous dit André Billy dans une de ses chroniques, prendre les eaux à Forges. Comme en 1637, elle fit faire une neuvaine à Féricy et y but des eaux de la fontaine Ste Osmane, laquelle avait le pouvoir de rendre les femmes fécondes, on ne sait à quelle intervention la France est redevable de Louis XIV.

Nous la voyons encore, lors d’un de ses séjours à Montceaux en 1641 « accomplir à pied un pèlerinage d’environ ¾ de lieue à l’église de St Fiacre, auquel en qualité de voisin, elle avait une dévotion particulière. Elle attribuait  à son intercession la guérison d’une maladie dont avait failli mourir, à Lyon, l’année précédente, le roi qui toutefois ne survécut guère. Elle lui attribuait aussi la naissance de Louis XIV, venu après de longues années de stérilité et elle fit hommage au saint de langes bénis que le Pape lui avait envoyés de Rome pour son fils. »

Selon le journal de Jean Raveneau, bachelier de théologies de Faculté de Paris, curé de Saint Jean les deux Jumeaux : « le lundy 19 juillet 1683 » le roi Louis XIV, venant de la Ferté passe à St Jean puis à « St Fiacre où la dévotion de la Reyne appela toute la cour», et «où il entendit la messe et disna».

Enfin «Bossuet, en 1689, inaugura à St Fiacre une neuvaine pour la guérison du roi qui souffrait d’une fistule.»

L’importance de ces personnages nous aide à comprendre le culte qui était  rendu au saint, tant en Ile de France qu’en Normandie, Bretagne, Picardie, Champagne et Bourgogne.

A Provins notamment, la corporation des jardiniers célèbre toujours avec éclat la fête de l’anachorète. Elle jouit d’ailleurs du rare privilège (4) de régler les affaires et les comptes de la confrérie dans l’église St Ayoul et d’y vendre des brioches.

Nous savons  que du XIIIème au XVIIIème siècle, les pèlerinages à St Fiacre connurent un succès grandissant. Une enseigne, trouvée à Boulogne sur Mer nous renseigne sur l’emblème des pèlerins :

«Celle-ci, attribuée au XVème siècle, est en étain, carrée, à sommet triangulaire, avec quatre anneaux ou bélières pour l’attacher aux vêtements. Dans le champ on voit St Faron en  habits épiscopaux, crosse à senestre et mitré ; à droite St Fiacre vêtu de l’habit monastique et portant la bêche traditionnelle ; à gauche la Becnaude qui accusait l’anachorète de sortilège ; on lit autour de l’enseigne la légende : St Fiacre, St Faron, Hovopdé.” (5)

Les pèlerins qui venaient au tombeau du Saint n’avaient garde d’oublier la fontaine «dite de St Fiacre de temps immémorial». En effet on en trouve trace dès 1157. L’actuelle chapelle, dernière de celles qui furent établies sur la source porte la date 1852 et le bassin qui lui est adjoint fut posé en 1732. La fontaine est proche de la ferme Mimeaux.

Les archéologues nous enseignent que cet endroit fut probablement «le milieu géographique et sacré du peuple melde à son origine».

L’on sait que les peuplades anciennes attribuaient à pareil centre un caractère de sanctuaire, le lieu consacré. Des rites de caractères païens y ont sans doute été pratiqués.

Que faut-il  donc retenir de cette légende ? Sans doute, quelques bribes de vérité.

Il est vraisemblable que le christianisme s’est, à l’origine, propagé dans les villes et les vallées ; les hauteurs et les lieux boisés, moins accessibles, restant sous l’influence du paganisme.

On peut supposer que c’est précisément pour en faire disparaître les croyances que St Faron envoya St Fiacre en plein centre païen.

L’opposition à une nouvelle religion est, ici, personnifiée par la Becnaude, cet antipathique personnage légendaire que Bossuet lui-même repoussait, bien qu’il admit la dévotion au saint. Ne répondait-il pas le 20 mai 1703 au père Mabillon qui lui soumettait une vie de St Fiacre : «Il faudrait un peu adoucir l’endroit de la Becnaude et en supprimer le nom qui n’est pas assez sérieux pour être imprimé.»

St Fiacre a été choisi comme patron par les confréries de jardiniers maraîchers, horticulteurs par la seule vertu, semble-t-il de la bêche, car le fait de cultiver la terre ou de vivre à son contact était le lot de beaucoup de saints  campagnards.

Quoiqu’il en soit, nos amateurs de jardins découvriront, s’ils ne les connaissent, les mérites du haricot St Fiacre et peut-être invoqueront-ils le saint pour le succès de leurs récoltes ou la guérison de leurs maladies.

La petite histoire nous apprend qu’à Paris, entre les numéros 79 et 81 de la rue St Martin, s’ouvre l’étroite et sordide impasse St Fiacre. Un loueur de coches. Nicolas Sauvage, y logeait au XVIIème siècle, à l’enseigne du saint. De là, viendrait l’appellation de fiacre donnée aux voitures de louage.

Pour terminer cette chronique,  je voudrais signaler la découverte récente, entre St Fiacre et Boutigny, non loin du ru des Cygnes, de deux polissoirs néolithiques, christianisés vraisemblablement plusieurs siècles après la mort de St Fiacre. L’un d’eux porte, gravée sur une face, celle tournée vers le village du saint, la bêche légendaire du Patron de la Brie.

Source : chronique rédigée par l'Abbé A. CAYLA dans le bulletin de la paroisse de Trilport en Seine et Marne (N°7 Juin 1970 et N°8 Juillet - Août 1970)

 

(1) Duplessis, tome 1, livre 1, page 54

(2) Les Scots sont les ancêtres communs des Irlandais et des Bossais.

(3) Nous avons sur cette époque un renseignement sur la valeur des choses : la paire de souliers des religieux de St Fiacre valait de 2 sol 6 deniers à 3 sols (1410-1490)

(4) Il s’agit là de la persistance d’une coutume devenue légale que des ordonnances royales préciseront plusieurs fois au 17è siècle.

(5) Nom picard de Becnaude.