LES TÉMOIGNAGES DU PASSÉ

A Ferrières sur Sichon et aux châteaux de Chappes et de Montgilbert

3ème excursion de la Société d'Emulation et des Beaux-Arts du Bourbonnais

le 15 juin 1901

Ceci est le journal de notre troisième excursion, écrit heure par heure, "journal de bord", si j'ose m'exprimer ainsi. Et, décidément, je l'ose !... bien qu'il y ait, en apparence, une certaine hardiesse à introduire ce vocable maritime dans la relation d'une escalade de montagne. Mais, en réalité, l'eau y joua, - sans opportunité ni mesure, d'ailleurs, - un tel rôle, que le journaliste de cette journée... aquatique se trouve tout naturellement enclin à mouiller sa narration de quelques expressions empruntées au langage des navigateurs.

Vichy, 5 heures du matin. - Il pleut !... Fâcheux réveil pour des excursionnistes !... Nous étions quelques-uns à Vichy depuis la veille, avant-garde du gros de la troupe qui, en ce moment, "s'embarque" à Moulins sur un  P.L.M. vertueusement matinal.
Dans une heure, nos excellents confrères opéreront leur entrée en gare de "la Reine des villes d'eaux" . Et, sans perdre une minute, - le programme est formel, - des véhicules spécialement affrêtés, nous emporteront vers Ferrières, la fraîche montagnarde, fille du torrentueux et cristallin Sichon.
En attendant, la pluie tombe, tranquille, copieuse, sûre d'elle-même, une pluie méthodique, qui a pris toute la nuit pour s'installer, en pluie décidée à faire séjour. De ma fenêtre, je vois ruisseler "l'Etablissement". Il y a un petit lac sous chaque arbre du "Vieux Parc" , et la rue Cunin Gridaine fait penser à Venise : c'est une réduction du grand canal. Le palazzo Jurietti y mire ses balcons sculptés, tandis que l'opulent faisceau de drapeaux multicolores, dressé au plus haut de sa façade, trempe dans l'eau du ciel : on dirait un jour de lessive !

Place de la Gare, 6 heures. - Cependant, le quart d'avant 6 heures tinte là-bas, à l'horloge du Casino. C'est le moment d'aller à la gare, au-devant de nos compagnons, et nous arrivons tout juste pour les recevoir à leur descente du train. Aucun ne manque à l'appel. Ils sont bien de ces vrais pélerins qui se distinguent, selon la définition du proverbe, par une remarquable et caractéristique propension à affronter "la pluie du matin"  . Et je constate, avec une légitime satisfaction, que ces pélerins de l'Emulation se font de plus en plus nombreux. Nous étions treize, l'année dernière, nous sommes vingt-quatre aujourd'hui (1). La progression est encourageante et autorise, pour l'avenir, les plus brillantes espérances.
Tout en procédant à cette réconfortante statistique, nous prenons place dans les voitures qui nous attendaient au plus près, à la sortie de la gare, sur cette esplanade que l'on est habitué à voir si animée, si bruyante, et qui en ce moment, balayée par l'averse cinglante, nous apparaît morne et déserte.  Seules, ou à peu près, les petites nymphes du rocher municipal qui s'élève au centre de cette solitude, assistent à notre départ. Elles n'y  ajoutent d'ailleurs aucune gaîté. On croit les voir en détresse sur leurs artificielles et innocentes rocailles que le marécage environnant transforme en récif. Jetées là, ces jolies personnes, dépourvues de vêtements, ont assez l'air de naufragées. Leur groupe, décidément, s'érige en catastrophe. En une catastrophe dont nous ne sommes pas seulement les spectateurs.
Et, pendant que nos véhicules, prenant bravement la route de Ferrières, - qui est, d'abord la route de Cusset, - défilent en bon ordre aux pieds de ces nymphes symboliques, je déplore que l'insuffisance d' "éclairage" empêche nos compagnons photographes de "saisir" l'épisode. C'était bien le frontispice évocateur qui eût convenu à ce journal.

Cusset, 7 heures. - Nous voici à Cusset. Premier arrêt en vue des bains Sainte-Marie, clos dans une architecture gaiement enrubannée de briques rouges. Là, notre confrère Louis Duchon, le narrateur consciencieux des contes populaires du Bourbonnais, se joint à nous. Mais l'arrêt se prolonge plus que de raison. Il paraît que l'on renforce notre cavalerie qui peine terriblement dans la boue épaisse. Comment occuper ces loisirs forcés... sous la pluie ? M. Duchon nous parle d'une vieille maison de la place de l'Eglise, vieille maison du XVe siècle que l'on est en train de démolir pour construire, en son lieu, le logis de la caisse d'épargne. Or, sur une muraille mise à nu, on aperçoit, nous assure-t-il, une baie aveuglée, dont l'arc en plein cintre fait penser à l'époque romane. Nous ne saurions mieux faire, en vérité, que d'aller reconnaître ce vénérable ouvrage. Ce sera l'occasion, d'ailleurs, de revoir cette place de l'Eglise si pittoresque avec ses architectures du temps jadis aux crêtes aiguës, aux pignons surplombants, aux tourelles d'escalier qui saillent des toits, se prolongeant en vigies.

(1) MM. l'abbé Berthoumieu, Bertrand, commandant du Broc de Segange, Edgard Capelin, Chabot, Chanier, de la Chauvinière, Claudon,abbé  Clément, Déchet, Delaigue, Duchon, Faure Pierre, L.- C. Grégoire, Guillaumier, Jouffroy,  Kimpel, comtesse des Ligneris, LouisMantin, Planchard, R. de Quirielle, J. de Quirielle, G. Robert, Rouxel.

Nous nous acheminons donc vers la vieille place, en un désolant "monôme" de parapluies. Sous ce ciel pleurard qui porte aux idées tristes, notre cortège fait penser à un enterrement. On aurait à moins l'aspect de gens qui se rendent "à la maison mortuaire". Et, de fait, n'est-ce pas un suprême hommage que nous portons aux restes d'une maison morte, morte, par surcroît, de mort violente ? Voici, précisément, la brèche béante laissée par la démolition.
A l'arrière-plan, la muraille latérale de l'immeuble voisin, maintenant à découvert, montre, en effet, à mi-hauteur et noyés dans la maçonnerie, les contours d'une ouverture d'apparence fort ancienne.
Cependant les débris de la maison abattue, qui sont restés dans le désordre de la chute, attirent, à leur tour, l'attention. Il y a là de robustes blocs de pierre, tombés des corniches ou des encorbellements, dont les moulures ont de nobles profils gothiques. Ce sont des témoins mis à mal du passé historique de la petite ville, de ce passé où Louis XI, dauphin et roi, tient une place si curieuse, en compagnie de son agent, le cussétois Jean de Doyat. Louis XI et Jean de Doyat, deux noms qu'il est obligatoire et, en quelque sorte, rituel de commémorer lorsqu'on est sur la place de Cusset.
Mais n'est-ce pas notre excellent président qui nous fait, là-bas, de grands gestes de ralliement ? Il paraît que nos "équipages" sont prêts à affronter la dure ascension, et que l'on n'attend que nous pour partir. Ne nous faisons pas attendre.

Sur la route de Ferrières, 8 heures. - Nous voilà partis ! Les beautés pittoresques du trajet de Cusset à Ferrières sont connues. D'autres explorateurs ont remonté, avant nous, le cours du  charmant Sichon. Ils ont vanté, comme il convenait, la variété exquise de ses aspects, s'étant émerveillés à le voir, tour à tour, austère parmi les roches de granit, riant sur le velours des prés, et plein de mystère dans l'ombre des "saulées". Au surplus, le paysage admirable que l'active petite rivière anime de ses grâces si diverses, a, de son côté, rarement échappé à la vigilance de ces narrateurs consciencieux.
Dans la "tapissière" qui nous transporte à travers ce paysage, et, en même temps, nous en sépare, par le moyen de ses rideaux de cuir tendus contre la pluie, je me félicite deux fois que tant de consciencieux narrateurs aient rendu superflues de nouvelles variations sur les mêmes sites et les mêmes "points de vue".
Cependant, de temps à autre, des éclaircies se produisent qui permettent de signaler, au passage, quelques buts classiques d'excursions, providence des âniers et des loueurs de bicyclettes de Vichy. Voici, émergeant de folles végétations, ainsi qu'il est d'usage pour des ruines, le grand squelette croulant de l'ancienne usine de tissage des Grivats. Nous passons maintenant près de l'Ardoisière, dont les beautés naturelles s'associent aux séductions plus artificielles de diverses guinguettes. A ce propos, un de nos confrères, observateur sagace, s'étonne fort judicieusement qu'aux bords des chemins de la banlieue de Vichy, que fréquentent, cependant, en si grand nombre, les buveurs d'eau, on rencontre autant de marchands de vin ?
Mais nos chevaux, stimulés, sans doute, par l'espoir d'une écurie libératrice, attaquent courageusement les rampes. En ce moment, nous "brûlons" Arronnes, sacrifice nécessaire. Nous en ferons d'autres encore !... Cette marche pleine de décision ne nous fait pas trop attendre le sommet, après lequel nous descendons vers Ferrières, par les lacets de la plus charmante route que l'on puisse rêver.

L'arrivée à Ferrières, 10 heures 1/2. - Quoique sans empressement ni bonne grâce, la pluie diminue. Se fatiguerait-elle, enfin, de toujours tomber ? Le fait est que le ciel s'éclaircit quelque peu. Un gros nuage, qui se décide à traîner plus loin sa masse opaque et lourde, découvre tout à coup, dans le vert intense de la vallée, des toits qui se pressent autour d'un clocher, tels des poussins autour de la bonne couveuse. C'est Ferrières !
Nos voitures pénètrent dans le bourg avec un honorable tapage de grelots et de claquements de fouets, que dominent, de temps à autre, de fortes détonations. Qu'est-ce cela ? Nous saluerait-on d'une salve d'artillerie, comme des souverains en voyage ? Mais non, ce sont tout simplement des "coups de mine" dans des carrières de marbre. C'est que Ferrières s'élève sur des assises de marbre, et de marbre bleu turquin, s'il vous plaît. Il n'y a vraiment qu'un village de montagne pour se permettre un luxe pareil !

Le déjeuner à l'hôtel, 11 heures. - Si par "hôtel" on entend la maison accueillante, l'hôtesse empressée, la vaste cuisine aux cuivres luisants et loyalement occupés, la salle à manger équipée, dressée et fleurie, il n'y a pas de "continental" ou de "royal", ou de "terminus" comparable à notre "hôtel " de Ferrières. Et qu'on ne s'avise pas de nous dire le contraire, maintenant qu'après le lever ultra-matinal, la longue épreuve de la route et les appétits d'apaches qui en résultent, nous prenons place autour de la table sur laquelle se déploient, en une perspective pleine d'à-propos, deux rangées parallèles de couverts, que coiffent les serviettes blanches !
Pendant que les fourchettes attaquent avec vigueur les "plats de résistance" ... qui ne résistent pas, et qu'elles rendent ainsi les honneurs, les derniers honneurs, à un menu excellent et très bien servi, nous parlons de notre programme d'excursion, et convenons qu'il doit subir les exigences du temps mal gracieux. La bonne chair amollit les coeurs et dispose aux concessions. On fera donc la part de ... l'eau, on lui abandonnera le roc Saint-Vincent, et encore la crête mystérieuse de Pierre-Encise, et si tant de roches ne suffisent pas, on y ajoutera quelques "monuments" plus ou moins "mégalithiques" signalés au lieu dit le Bouchet. Tous ces sacrifices rendront peut-être le ciel plus clément ? Le fait est que la pluie semble faiblir. Et même, au moment où nous sortons de table, elle se décide à ne plus tomber du tout.

La visite à l'église, midi 1/2. - Nous profitons de la trêve pour nous rendre à l'église paroissiale que nous avons la bonne fortune de visiter sous la conduite de notre distingué confrère de l'"Emulation", M. l'abbé L. Perrot, curé-doyen de Ferrières. Au risque d'offenser sa modestie, je saisis l'occasion pour saluer, en cet excellent guide, l'historien et le psychologue de la montagne bourbonnaise. Je salue aussi l'écrivain élégant, expert et spirituel, qui sait piquer de traits opportuns les plus austères sujets, et les libérer ainsi de leurs influences somnifères.

A la suite de l'érudit et obligeant pasteur, nous pénétrons donc dans son église, édifice d'âge incertain qu'une restauration totale, effectuée en 1888, a, d'ailleurs, définitivement transformé. Ce sanctuaire remis à neuf paraît issu d'un autre, beaucoup plus ancien, que signale, dès l'entrée, à droite et sous le clocher (1), un intéressant témoin. C'est une chapelle d'aspect vénérable. Il est possible que cette chapelle représente le chevet de la primitive église. Quoi qu'il en soit, son intime maçonnerie, qu'il est permis de préjuger romane, a subi des remaniements postérieurs que le XVe siècle a scellé d'écussons, assez frustres aujourd'hui. Parmi ces sceaux, il en est un, meublé de trois fasces ondées, que nous retrouverons bientôt à Chappes, et dont je reparlerai alors.

L'intérieur de l'église est sauvé de l'attristante banalité qui se dégage si volontiers du mortier frais, par des détails d'ameublement pleins de goût, et du plus heureux effet décoratif. Nous remarquerons, en particulier, des fonts baptismaux adroitement fouillés, et, aussi, une belle grille en fer forgé, sortant des ateliers de MM. Micaud-Charpy, de Moulins.

(1) Ce clocher est octogonal. Il a été surélevé d'un étage et contient une sonnerie moderne               

Je note, enfin, les stalles qu'un sculpteur périgourdin a très finement ouvragées dans le style roman, et que nous admirons en traversant le choeur pour visiter la sacristie. Elle a tout à fait bon air, cette sacristie, avec son imposant chasublier aux panneaux ornés des quatre évangélistes, qui fait face à une vaste armoire "Henri II", oeuvre d'un artiste du pays, M. Chervin. Il serait fâcheux de négliger un troisième meuble, - ancien celui-là, - meuble à deux corps dont les bossages en tête de diamant et le couronnement en manière de balustrade indiquent le début du XVIIe siècle. Sa robuste menuiserie doit abriter, sans doute, en temps ordinaire, le reliquaire ancien de bois doré que M. le curé a placé aujourd'hui, bien en vue, sur la crédence de son chasublier.
Y a-t-il, dans ce reliquaire, une relique de saint Vincent Ferrier ? La réponse est négative, mais la question était inévitable. Ici, le nom du grand dominicain vient obligatoirement sur les lèvres. Lorsqu'on est à Ferrières, et proche du roc Saint-Vincent, cela s'explique. Mais il y a mieux. Il y a une tradition locale, d'après laquelle Vincent Ferrier, parcourant la montagne bourbonnaise, aurait prêché précisément sur ce roc Saint-Vincent.
A la vérité, ce témoignage de la mémoire populaire n'est confirmé par aucun document écrit. Il a pour lui, cependant, sur la crête du fameux roc, les ruines d'une chapelle, ancienne "vicairie" qui était au titre de Saint-Vincent. Cette chapelle possédait même une statue en bois de son patron, qui fut, plus tard, transportée à l'église de Ferrières puis détruite. Mais quel Vincent figurait-elle ? Etait-il "Ferrier" ou non "Ferrier"? Tout est là !

Ce qui paraît suffisamment démontré, par exemple, c'est que l'illustre prédicateur vint en Bourbonnais. En 1417, il se rendit d'Auvergne à Moulins, où il fit entendre son émouvante parole. L'Histoire de saint Vincent Ferrier, par le P. Fages, dominicain, relate le fait d'après un livre de comptes des Archives municipales de Moulins (1). Si le saint visita notre bonne ville, pourquoi n'aurait-il pas "poussé" jusqu'à Ferrières ? Je n'y vois, pour mon compte, aucun empêchement.

Quoi qu'il en soit, Ferrières peut s'enorgueillir avec sécurité d'une autre glorieuse visite, parfaitement authentique, celle-là. M. l'abbé Perrot nous signale, en effet, dans ses archives, "le procès-verbal de la paroisse de Saint-Fiacre, de Ferrières, par Jean-Baptiste Massillon, le 3 juin 1725".

L'éloquent prélat ne négligeait, on le voit, aucune des églises de son vaste diocèse de Clermont. Ce procès-verbal est intéressant, surtout par un inventaire très détaillé, où il convient de relever la mention d'une relique de saint-Vincent (2).

Notre visite à nous, moins solennelle, est, par compensation, plus courte. D'ailleurs nos voitures, qui vont nous conduire au château de Chappes, sont prêtes. Il faut partir. Mais nous avons la bonne fortune d'emmener notre précieux guide qui veut bien se faire pour nous, - et jusqu'au bout, - le cicérone de sa paroisse. En passant sous la grande porte de son église, il nous donne ce dernier renseignement qu'à l'époque où se firent les restaurations, les ouvriers mirent à nu, au-dessus de cette porte et extérieurement, quatre à cinq mètres d'une décoration peinte. Cette décoration, que M. le curé vit trop tard pour la sauver, lui parut être aux armes des Manissy, qui furent seigneurs de Ferrières. Il est permis de supposer que ces vestiges de peinture blasonnée désignaient une litre.

Le château de Chappes, 2 heures. - Nous franchissons vite et avec un réel agrément les quelques kilomètres qui séparent Ferrières de Chappes. Ces routes de la montagne sont d'une élégance pleine de ressources. Lorsque des nuages sans aveu "cambriolent" les vastes horizons, comblant les gorges profondes et décapitant les pics, elles ont encore, pour charmer, le paysage immédiat : proche vallée qui s'embellit du mystère des brumes, prairie voisine que déchirent, par place, d'étranges rochers, futaies opulentes où s'érigent les plus beaux arbres du monde.
C'est précisément parmi ces arbres magnifiques, et tout proche d'un étang "posé" à souhait pour nos confrères dessinateurs, que nous apparaît, égayé de verdure et plein de champêtre bonhomie, le petit château gothique de Chappes (3).
Construit au XVe siècle, l'ensemble de ses ouvrages forme un parallélogramme armé de quatre tours d'angle, et cerné de fossés toujours remplis d'eau. Voici, résumées avec l'inévitable sécheresse de mes notes de touriste, la nature et la disposition des bâtiments.
Le corps de logis proprement dit, rectangle allongé, d'architecture robuste, pratique, mais sans luxe, occupe un des côtés du parallélogramme, auquel il fournit deux de ses tours d'angle. Une cour intérieure, de proportions restreintes, sépare ce logis des communs qui lui font face parallèlement, et complètent le régime des fortifications, en servant d'appui aux deux autres tours. Ces dernières ont été fort maltraitées, l'une, à moitié démolie, est sommairement couverte d'un toit à une seule pente, la seconde, encore plus éprouvée, n'a conservé que ses soubassements.
On pénètre dans la place par une porte latérale qu'un pont, jeté sur le fossé, met en relation avec l'extérieur.
La façade du château donnant sur la cour, présente, vers son milieu, le relief arrondi d'une tour d'escalier, dont la porte est ménagée d'une façon fort ingénieuse. Elle s'ouvre à gauche dans la coube rentrante de la tour, et une loge ou un porche qui forme saillie longitudinale sur la partie de la façade que commande cette entrée, fournit aux visiteurs un spacieux abri. Cette porte si bien garantie est surmontée d'un écusson ogival penché et casqué, dont le marteau révolutionnaire a malheureusement détruit le contenu.
Très courtoisement accueillis par M. Barge, fermier de Chappes, nous visitons les appartements. Deux vastes pièces, remaniées au XVIIIe siècle, se partagent le rez-de-chaussée. Nous admirons, dans une de ces pièces, un meuble à deux corps de la fin du XVIe siècle, qui provient, paraît-il, du château de Seron, aux environs de Gannat.

L'escalier à vis, fort bien conservé, nous mène d'abord aux chambres du premier étage qui ont été rhabillées, elles aussi, au XVIIIe siècle. Seul, le deuxième étage a conservé son caractère primitif. Nous y visitons une salle de notables proportions qui a gardé sa grande cheminée gothique, pleine de caractère, bien que le granit dont elle est construite n'offre que de simples moulures.

(1) Communication de M. l'abbé Clément.
(2) Voir dans la Semaine religieuse du diocèse de Moulins, du 12 mai 1900 "Ferrières-sur-Sichon", par M. l'abbé Perrot.

(3) Le château de Chappes appartient à M. Degeorges qui, très aimablement, nous en a facilité la visite, et qui voudra bien recevoir ici tous nos remerciements.

Cette cheminée est voisine d'une porte de communication avec une chambre circulaire prise dans une tour. Mais, entre cette chambre et la salle que nous venons de visiter, derrière,  précisément, la grande cheminée, un étroit et mystérieux couloir conduit à une meurtrière qui était, aussi, une vigie. Elle nous sert à signaler un rayon de soleil, à la vérité douloureusement pâle et languissant. Raison de plus d'en profiter avant qu'il  s'évanouisse !...
Nous voilà dans la cour intérieure, où nous avons à voir encore, avant notre pélerinage aux ruines de Montgilbert, une dalle armoriée de deux écussons accouplés. Ecussons au type ogival, qui furent l'enseigne de la porterie. L'un est meublé d'un gonfanon, et l'autre, des trois fasces ondées que j'ai déjà notées à l'église de Ferrières. L'attribution de ces armoiries est très embarrassante. Jusqu'ici, malgré de louables efforts, il n'a pas été possible de les restituer à leurs légitimes propriétaires. Le gonfanon est-il d'Auvergne, ou simplement bourbonnais ? En l'absence de tout renseignement probant, je me garderai de me prononcer. Tout au plus risquerai-je un rapprochement, - qui n'a pas été fait, que je sache, - entre les fasces ondées du deuxième écusson, et celles mentionnées par Segoing ("d'azur, à deux fasces ondées de gueules"), comme appartenant à une famille bourbonnaise du nom de Chappes (1) .

J'ajouterai qu'en examinant de près la pierre blasonnée qui nous occupe, j'ai cru reconnaître un croissant posé au flanc dextre de l'écu. Cette brisure aurait-elle été empruntée aux armoiries d'autres Chappes mentionnés, par Guillaume Revel et Bétencourt, qui portaient, "de sable, à la bande d'or chargée de trois croissants" (2) ?

Tous ces points d'interrogations à propos d'écussons sculptés, vraisemblablement, dans la seconde moitié du XVe siècle, - qui passerait difficilement pour une époque préhistorique, - proclament la touchante et philosophique obscurité dans laquelle vivaient certains de nos "chevaleresques" montagnards du moyen âge.

Aux ruines de Montgilbert, 3 heures 1/2. - De Chappes à Montgilbert la distance est courte, si courte même que l'on se demande comment deux voisins de forces aussi inégales ont pu vivre côte à côte, sans que le petit ait été dévoré par le gros. Or il se trouve que par une étrange fortune, c'est au contraire le petit qui survit ! Montgilbert, en effet, n'est plus que la ruine, - ruine remplie de majesté, - du doyen des châteaux forts du Bourbonnais.
Ces restes très importants pour l'histoire de l'architecture militaire dans notre province, indiquent, par leur type de construction et leurs appareils défensifs, qu'ils remontent au XIIIe siècle. Ils dessinent la dentelle de leurs murailles croulantes dans un paysage austère, où coule, moitié ruisseau, moitié torrent, un cours d'eau malgracieusement nommé "la Prison".
Nous abordons ces ruines vénérables par un chemin "du temps" , ou du moins qui en a l'air ! Dans la lumière d'un beau soleil, ce chemin aux ornières gothiques peut fournir, assurément, d'agréables motifs de développements littéraires, mais nous le fréquentons, sous une pluie qui, pour être intermittente, n'en demeure pas moins très défavorable à la rhétorique en plein air.

Quoi qu'il en soit, ce chemin étant le plus direct, nous permet d'atteindre Montgilbert sans retard. Je n'ai pas l'intention de refaire, en détails, la description, cent fois faite, de ce château très notoire (3). Je dirai cependant, sommairement, que son plan affecte la forme d'un trapèze, avec, à chaque angle, le relief arrondi d'une tour. L'entrée de la place est pratiquée sous l'abri d'une de ces tours, et se trouve protégée, supplémentairement, par une tourelle engagée.

Les deux grandes façades de la forteresse, - façades occupant les lignes parallèles du trapèze, - sont armées, chacune, d'une tour centrale carrée qui constitue, il me semble, l'originalité caractéristique du système défensif. Elles obviaient, efficacement, pour la protection par flancs des longues murailles, à l'insuffisance de portée des projectiles.
J'ajouterai, enfin, que la partie du château la moins bien protégée par les conditions naturelles du terrain, celle, au surplus, où s'ouvrait la porte d'accès, était munie d'une demi-enceinte dont les vestiges sont toujours apparents.

Je ne parlerai que pour mémoire des "dessous" de Montgilbert, de ces souterrains, de ces "culs de basses fosses",  et de ces prétendues "oubliettes" dont l'imagination populaire, qui aime le "mélo" gratifie toujours les vieux châteaux. Ici, il n'y a, en fait d'"oubliettes", - est-il besoin de le dire ? - que d'inoffensives caves, ou des réduits pour les réserves d'armes, ou encore des citernes. Ces dernières étaient, sans  doute, alimentées, en partie, par certaines conduites en poterie, vestiges curieux d'une canalisation logée en pleine maçonnerie des murailles qu'elle perce longitudinalement. Des brèches permettent d'observer son parcours ascensionnel qui paraît démontrer suffisamment que son rôle était de drainer l'eau des toits.
Ce sont les conclusions sur lesquelles nous tombons tous d'accord, dans le petit groupe de notre compagnie plus spécialement "monumental". Ici, en effet, chacun travaille "de son état"  Pendant que les "monumentaux" dressent le signalement de la forteresse, sans négliger ses "signes particuliers", nos confrères "historiques"  récapitulent ses possesseurs successifs, depuis le commencement du XIV e siècle, jusqu'à la fin du XVIIIe, depuis les Aycelin de Montaigu, jusqu'aux Saulx-Tavannes. Et ils n'oublient pas de mentionner la mainmise sur Montgilbert, en 1434, par cet extraordinaire Rodrigue de Villandrando, dont il serait bien intéressant de rechercher et de mettre en lumière nombre de circonstances de sa vie restées obscures.
Puis, ce sont nos dessinateurs, MM. Vié, Guillaumin et Grégoire, qui fixent sur le bristol, avec leur habituel talent, les "points de vue" les plus pittoresques du vénérable château. Ils en ont fait tout autant à Chappes. Et les jolies illustrations qui accompagnent ce compte rendu sont les preuves très artistiques de ce beau zèle que la pluie n'éteint pas.

(1) Armorial du Bourbonnais.
(2) Ibid.

(3) Voyez Les fiefs du Bourbonnais de MM. Aubert de la Faige et Roger de la Boutresse.

Cependant nos "gallo- romains" ne perdent pas leur temps. Ils cherchent sous les ronces et les herbes folles les traces du "castrum" que mon vieil ami Bertrand, leur vaillant chef, pressent dans les entours de nos ruines. Il a ses raisons pour cela, connaissant la précieuse trouvaille d'ustensiles antiques de bronze faite, vers 1867, aux pieds des murailles féodales.

Moi aussi je connaissais cette trouvaille. De son inventeur resté inconnu, qui fut, sans doute, un paysan "chercheur de trésors", elle avait passé à un habitant du Mayet-de-Montagne, chez lequel j'avais été la voir. J'ai tenu, alors, dans mes mains, le délicieux vase de bronze, représenté ici dans toute l'exquise pureté de ses lignes, mais non pas, malheureusement, avec la couleur admirable de sa patine qui le fait paraître comme façonné dans un bloc de malachite. M. Bertrand se propose d'écrire l'odyssée de cette belle épave qui figure, aujourd'hui, au musée de Lyon. Il dira comment notre visite à Montgilbert lui a permis de retrouver, d'après les obligeantes indications de M. Antoine Paput, maire à Ferrières, la fouille toujours béante à la lisière nord du château, d'où sortirent le vase et les divers objets qui l'accompagnaient. Pour moi, je me contente de noter que, tout en regagnant Ferrières où d'autres attractions nous attendent, nous échangeons quelques remarques de circonstance sur la persistance d'habitation dont bénéficia ce mont Gilbert qui, dès la haute époque impériale romaine, eut des hôtes et ne cessa pas d'en avoir jusqu'au XVIIIe siècle.

L'église de Chevalrigond, 4 heures 1/2. - Pendant notre retraite vers Ferrières, quelques zélés font une pointe jusqu'à Chevalrigond, gros village tout proche de Ferrières, qui eut son autonomie paroissiale avant la Révolution. Mais, aujourd'hui, la paroisse est déchue, comme son église, devenue propriété particulière. C'est un petit sanctuaire roman primitif à une seule nef, avec le relief terminal de son abside. L'irrespectueuse adjonction d'une écurie a fort éprouvé le pignon du vieil édifice qui a perdu, dans l'aventure, le campanile dont il était surmonté. On y a suppléé sommairement en plaçant la cloche, qui appelle toujours les villageois aux offices, dans une petite niche pratiquée presque au-dessus de la porte latérale qui sert actuellement d'entrée. A l'intérieur du sanctuaire, il n'y a guère à signaler qu'une pierre tombale, simplement gravée d'une croix. Cette dalle anonyme recouvre peut-être la dépouille d'un prieur, étant placée en face le maître-autel, mais dans la nef (1).

Le château de Ferrières, 5 heures. - Aussitôt arrivé à Ferrières, je prends les devants pour saluer le châtelain, M. le vicomte Le Jeans, auquel me lie une vieille et respectueuse affection.
Après des années, - trop d'années ! - je revois, avec le châtelain, son château. C'est une construction de belle prestance, mais moderne. Cependant sa porterie, pavillon du XVIe siècle, fortifié d'une tour, avertit que le nouveau logis est de souche ancienne.
L'histoire seigneuriale de Ferrières a été fouillée par des investigateurs experts. Je ne citerai que nos actuels confrères de l'"Emulation" ; en particulier, M. l'abbé Perrot (2), qui a parlé avec beaucoup d'érudition et d'élégance du passé de ses paroissiens, puis MM. Aubert de La Faige et Roger de La Boutresse qui ont résumé et encore enrichi les travaux de leurs prédécesseurs (3). Ils ont reconstitué, en très bon ordre, le défilé infiniment décoratif des très illustres possesseurs du château de Ferrières. On leur doit notamment, d'avoir reconnu, marchant en tête du cortège, dans le lointain de 1249, un Gaucher de Châtillon. Quant au cortège lui-même, il ne peut être question d'en énumérer, ici, les figurants d'ailleurs souvent mentionnés. Je me contenterai donc de noter, çà et là, quelques noms: au XIVe siècle, Gauthier de Passac et Louis de Culant, amiral de France ; au XVe siècle, les Beaufort-Canillac et Beaufort-Montboissier ; en 1526, l'aïeul du grand Turenne, François de La Tour d'Auvergne ; au XVIIe siècle, la dynastie des Manissy…

La grotte des fées, 5 heures 1/2. - Mais voilà mon énumération de ces illustres seigneurs interrompue, pour courir à la grotte des fées. M. l'abbé Perrot nous y conduit par un chemin qui domine le Sichon bouillonnant et cascadant au fond de la vallée. Le temps presse, on doit dîner au retour, et les excursionnistes ont faim !...

- Est-ce encore loin, monsieur l'abbé ? - Pas du tout, nous y voilà ! Et toute notre bande quittant la route, à la suite  du vaillant pasteur, s'engage en un sentier qui dégringole sur le flanc du ravin, parmi les grandes fougères mouillées, dans l'ombre mouvante des frondaisons.
Nous arrivons ainsi jusqu'à une anfractuosité de roche, où se trouve l'entrée de la grotte. Cette entrée, - je dois en faire l'aveu ! - est déshonorée par une porte, dont la menuiserie déplorable et équivoque prête, en cet endroit discret, aux plus outrageantes suppositions. Suppositions particulièrement suggestives maintenant que notre trésorier verse, entre les mains du portier de cette porte, une rétribution qui équivaut, précisément, à quinze centimes par visiteur. Moyennant quoi, l'huis nous est ouvert.
A la lueur d'une archaïque chandelle, nous nous engageons, un à un, dans un couloir d'abord fort étroit, que le ruisselet, qui s'épanche sous nos pieds, ne cesse de creuser. Ce couloir, assez long, s'élargit peu à peu, pour aboutir à une crypte, où, de toute part, l'eau sourd lentement en larmes qui tombent goutte à goutte. Ces pleurs de la grotte l'ont revêtue de concrétions calcaires, stalactites et stalagmites, pendentifs et ondes figées, dont les formes étranges excitent l'imagination des montagnards. Ici, ils voient distinctement la silhouette de cette fée intransigeante qu'ils donnent en exemple à leurs femmes et à leurs filles, parce qu'elle préféra, honnêtement, se muer en pierre, plutôt que de céder aux entreprises d'un faune mal élevé.

(1) D'après une note obligeamment communiquée par M. l'abbé Clément.
(2) << Ferrières à vol d' oiseau >> dans les Annales bourbonnaises. Années 1890 et 1891.

Les Fiefs du Bourbonnais, p. 90 et suivantes.

Plus loin, c'est un géant, cariatide fabuleuse, qui étaye de ses bras la voûte du souterrain.
D'ailleurs, il n'y a pas à se le dissimuler, nous sommes en plein dans l'antre du merveilleux, où l'on peut s'attendre aux plus prodigieuses choses, et où nous avons tort de nous attendre à rien.
Car, soudain, tout s'illumine d'une belle lumière, couleur d'émeraude, qui fait "briller de mille feux"  les mystérieux fantômes de la grotte,  y compris le bon géant et la fée pudique. Ne serait-ce pas, par hasard, de cette fée recommandable qu'émanerait la prodigieuse clarté ? Dans ce cas, je ne serais pas éloigné d'accuser le vilain faune de susciter, maintenant, une fumée âcre et suffocante qui coupe court à nos admirations et nous met inopinément en fuite !..

Le dîner à Ferrières, 6 heures 1/2. - A quelque chose, malheur est bon ! Nous arrivons avec exactitude chez notre parfaite hôtesse de Ferrières. Nos émotions y sont amplement pensées et récompensées par un excellent dîner, et, spécialement, par un plat d'exquises truites du Sichon, pour lesquelles cette "mention honorable" est de toute justice.
Tout en dînant, les "parlottes" se font joyeuses. Notre coin de table se réjouit spécialement d'un fait du jour" qui lui est conté. Le tantôt, paraît-il, en sortant de l'église de Chevalrigond, quelqu'un  avait ironiquement qualifié de "mégalithe" une innocente borne de granit dressée à l'angle d'une maison du village. Cependant un autre "quelqu'un", - n'était-ce pas un fort aimable avocat ? - précisa l'attribution et traita la stèle domestique de "cochonnet mégalithique", sous prétexte qu'elle était percée de trous symétriques, comme certains appareils à jouer aux boules.
D'ailleurs, pour attacher ce "mégalithe" à la queue du "cochonnet", aucun prétexte n'était urgent. "Mégalithes"  ne sont que grosses pierres, et, - Dieu merci ! - elles abondent dans la montagne. On peut, sans scrupule, les utiliser à sa guise et librement.

Le retour à Vichy, 7 heures 1/2. - C'est l'heure du départ !... Il faut monter en voiture. Et, en route pour Vichy !... où il importe de ne pas manquer le train qui doit rapatrier les excursionnistes moulinois.
Nous revenons à grande allure. A si grande allure, même, qu'un essieu s'échauffe, et qu'il faut s'arrêter un instant à Arronnes. Nous mettons à profit cet arrêt forcé pour courir à l'église dont, malheureusement la vénérable architecture disparaît déjà dans l'ombre du crépuscule. Nous la voyons assez, cependant, pour constater que cette petite église de la haute époque romane, dernier témoin d'un antique prieuré bénédictin, présente des détails de construction intéressants : tels ses bas côtés, voûtés en demi-berceau, selon la méthode auvergnate... Mais la nuit, cette fois, est tout à fait venue. Il faut remettre, à un meilleur jour, une meilleure visite. D'ailleurs, l'essieu est décidément refroidi, et nous reprenons notre route vers Vichy, où nous arrivons bientôt, sans autre incident.
A la gare, nous repassons, plus fiers que ce matin, devant les nymphes municipales.
La pluie, en somme, ne nous a pas empêchés d'accomplir les parties essentielles de notre excursion.
Malgré la pluie, nous rapportons nombre d'impressions charmantes et de jolis souvenirs.
La pluie nous a peu embarrassés et jamais arrêtés. Nous l'avons bravée et battue, à ce point que nous pouvons dire, comme mot de la fin, en dérangeant le shakespearien proverbe : "Beaucoup de pluie pour rien".

                                                                                                                Roger de QUIRIELLE


La famille de QUIRIELLE est une vieille famille du Bourbonnais et du Nivernais. Roger de QUIRIELLE est historien du Bourbonnais. Il étudia le premier les faïences de Moulins. Sa bio-bibliographie des écrivains Bourbonnais rend encore de précieux services.



Et voici un article de presse, que nous avons retrouvé il y a quelques années, soigneusement découpé et rangé au fond d’un tiroir d’une des plus anciennes maisons du bourg de Ferrières. Il est paru autour du 10 août 1875 dans un journal que nous n’avons malheureusement pas pu identifier. L’auteur a signé son article … « un buveur d’eau » … ce qui nous laisse à penser que nous avons très vraisemblablement à faire à un curiste de Vichy en promenade jusqu’à Ferrières. Il nous livre ses commentaires et impressions ainsi que quelques affirmations qui sont loin de la réalité historique (notamment en ce qui concerne la ruine de Montgilbert)…

FERRIERES

« Pour aller de Vichy à Ferrières, il faut à peu près six heures.

Voitures à un cheval, première heure, 3 fr. ; les heures suivantes  2 fr.

Voitures à deux chevaux, première heure, 4 fr. ; les heures suivantes, 3 fr.

La route de Ferrières passe par Cusset, que l’on peut visiter, en passant, si on ne l’a pas déjà fait d’une manière spéciale. On côtoie les ruines de la fabrique des Grivats ; on laisse l’Ardoisière, à gauche, et la route de Cusset, à droite et l’on continue sa marche, au milieu d’un pays très accidenté, comme le sont toujours les pays de montagnes.
Vous voilà en plein dans la chaîne du Forez .
Vous montez et vous descendez presque continuellement, comme si vous vouliez aller chercher sur les flancs et sur les sommets des coteaux la chaleur du soleil et la vue de l’infini et dans le fond des ravins la fraîcheur des ruisseaux qui y coulent, en faisant entendre, au milieu des hautes herbes de leurs bords, leur doux et, calmant murmure.
Vous franchissez Arronnes, vous assistez à la naissance du Jolan, et vous continuez votre promenade.
Bientôt vous apercevez à votre gauche, sur la pointe d’une colline, les ruines énormes d’un château qui fut autrefois une véritable citadelle ; ce sont les ruines du château de Montgilbert.

Vous pouvez laisser vos chevaux se reposer dans le village le plus rapproché et qui enjambe la route. C’est le village de Chevalrigond. Pendant que votre attelage souffle et se réconforte, suivez à pied le petit sentier qui conduit à Montgilbert et, une fois au pied de cette masse de pierres entassées les unes sur les autres et presque partout écroulées un peu ou beaucoup, vous serez surpris de l’effet imposant que cette forteresse du moyen âge procura sur votre esprit.
Ce qui se présente tout d’abord à vos yeux ce sont de hautes tours à moitié détruites et des pans de murs qui semblent suspendus en l’air. Vous avez devant vous l’enceinte extérieure, qui s’étend sur un espace considérable.
Lorsque vous avez gravi les  glacis, entrez dans le préau, en franchissant une brêche pratiquée par le pic du temps dans les murs des courtines ou des tours. Là, vous aurez en face de vous une nouvelle enceinte formée de tours et de murs presque aussi élevés que les premiers.
A cette vue, vous comprendrez combien pouvaient être audacieux les habitants de ces repaires féodaux et combien il leur était facile de tenir sous leur dépendance des régions très étendues, puisqu’ils n’avaient qu’à se retirer dans leur forteresse inaccessible pour pouvoir dire, comme les représentants modernes de la féodalité germanique : la force prime le droit.
A l’époque où le canon et l’obus n’avaient pas encore été inventés ou perfectionnés, l’on pouvait de là sans souci faire la nique aux assaillants.
Vous voyez d’ici l’embarras d’une troupe chargée de donner l’assaut à une pareille citadelle. Sans canons, il faut qu’elle s’approche avec le bélier de ces murs extrêmement solides ; car ils ont cinq ou six mètres d’épaisseur. Mais pendant ce temps des projectiles de toutes sortes pleuvent, du haut des murailles ou du haut des tours, sur les assaillants. Supposez qu’ils parviennent au sommet de la première enceinte, les archers placés sur les murs ou dans les tours de la seconde enceinte, ne cessent de les décimer, à mesure qu’ils paraissent à la crête de la courtine, où des hommes d’armes cachés les attendent. Mais supposez encore qu’ils parviennent à s’emparer de cette crête, il faut qu’ils hissent leurs échelles sur les murs pour les faire passer de l’autre côté, afin d’y descendre, et une fois descendus, ils seront obligés de recommencer le même travail d’assaut pour la seconde enceinte que la première, avec cet autre désavantage d’être pris entre deux troupes d’ennemis, dont les uns ont pu rester dans les défenses de la première  enceinte et dont les autres se trouvent sur les murs de la seconde. Cette forteresse était donc imprenable, avant l’invention du canon.
A ce point de vue les ruines du château de Montgilbert sont très intéressantes à étudier. Vous pouvez vous y promener en examinant toutes les tours, les unes après les autres. Dans l’une d’elles, sous une voûte  bien conservée, vous découvrirez un trou carré et profond, que les gens du pays appellent les oubliettes. Il serait facile d’y descendre avec une échelle ou du moins d’y promener une lampe, à l’aide d’une corde, pour voir s’il renferme beaucoup d’ossements humains, comme le rapporte la tradition. D’ailleurs si vous êtes curieux des histoires tristes et lugubres, vous pouvez, en parcourant ces ruines, lire ce qu’en raconte Louis Nadeau dans son « Voyage en Bourdonnais », et vous verrez que, quelque mauvais que soit notre siècle, il vaut encore mieux que les siècles de barbarie qui nous ont précédé et qui ont eu pour seul résultat avantageux de préparer l’époque de civilisation transitoire dans laquelle nous vivons.
A quelle époque cette forteresse fut-elle détruite ? L’histoire du pays est assez silencieuse à cet égard, mais on pense généralement que ce fut à la suite de la trahison du Connétable de Bourbon, dans le seizième siècle.
De Montgilbert vous revenez à Chevalrigond par le sentier qui vous a conduit aux ruines de ce château féodal et vous remarquez en passant, que vous foulez aux pieds de véritables carrières d’ardoises qui affleurent le sol.
Au-delà de Chevalrigond,  vous contournez une montagne de marbre gris et, au fond d’une fraîche vallée, vous apercevez  le clocher et les toits rouges d’un village, bâti pour ainsi dire, dans l’herbe verte : vous êtes à Ferrières.
La chose la plus curieuse à voir à Ferrières ce n’est pas son église formée de quatre pans de murs mal ajustés, ni les mauvaises peintures qui la décorent, c’est la Grotte des Fées. Qu’est-ce que la Grotte des Fées ? C’est une grotte qui se trouve sur la rive gauche du Sichon.
Quand vous êtes à Ferrières, vous prenez un petit chemin qui suit, en descendant, le cours du ruisseau et, au bout de quelques minutes vous arrivez à l’entrée de la grotte, où les habitants du pays s’empressent de vous conduire. Une porte fermée à clef en défend l’entrée. Le paysan qui en possède la clef ne manquera pas d’accourir en vous voyant passer devant chez lui.
La Grotte-des-Fées est une profonde crevasse pratiquée par les eaux dans le marbre du rocher. Cette crevasse s’étend à cinquante ou soixante mètres sous la montagne. Un petit ruisseau y a tracé son lit et de la voûte tombent des gouttelettes chargées de carbonate de chaux à l’état gazeux. Quand la gouttelette d’eau tombe le gaz s’échappe et le carbonate de chaux, ainsi précipité reste et forme des masses calcaires qui affectent les plus bizarres aspects. On y voit des statues de femmes, des ours, des éléphants, en un mot, tout ce qu’on veut y voir, au milieu des stalactites et des stalagmites qui emplissent la grotte éclairée par la lueur vacillante d’un lumignon fumeux.

Pour peu que vous vous y prêtiez, le guide pourra vous raconter les histoires que de père en fils on se transmet dans sa famille, pour faire plaisir aux voyageurs et aux curieux.
Demandez-lui comment le cours supérieur du Sichon, dont les rives ont, en cet endroit, une fraîcheur si séduisante dans les beaux jours de juillet, forma autrefois un lac immense qui engloutit tout ce qui couvrait la vallée, et qui disparut une belle nuit, sans qu’on sût comment ce prodige avait eu lieu. Il vous dira que c’était l’œuvre des Fées. A Ferrières, l’influence des Fées est considérable. On les trouve partout dans l’histoire du village comme celle des individus.

Avant de quitter Vichy, nous ne pouvons résister au désir de recommander sérieusement à MM. les étrangers de faire quelques promenades dans les galeries du Paradis des Enfants sages, passage Noyer, voisin de la maison Thénard, le plus beau et le plus grand Bazar, de cette ville d’eau sans rivale.
On y trouve un assortiment immense, d’abord de tout ce qui est créé pour enchanter l’enfance la plus capricieuse, puis tous les articles dits de Paris, tels que : éventails, bijouterie ; parfumerie fine, brosserie, maroquinerie en cuir russe, articles de voyage, etc. etc. Et chose précieuse, c’est que tout y est vendu meilleur marché que partout ailleurs malgré le luxe, la fraîcheur et le bon goût.
On annonce même encore un nouveau rabais sur tous les prix, comme fin de saison, à partir d’aujourd’hui.
Croyez-nous donc, Mesdames et Messieurs,  n’achetez rien ailleurs qu’au Paradis des Enfants sages.
L’entrée est libre pour les grandes personnes et les enfants ne paient que moitié.
Entrée pour les voitures, place de l’Hôtel-de-Ville, prés l’hôtel des Ambassadeurs. »

Un buveur d’eau


Ferrières est la ville la plus importante de la Montagne ; elle est bâtie dans un beau vallon très resserré et arrosé par le Sichon qui fertilise de riantes prairies. Les Montagnes  nues et abruptes contre lesquelles elle s’appuie sont à base calcaire. On en retire du marbre bleu turquin, d’un grain compact et fin mais difficile à employer dans les arts. Ferrières n’a aucun édifice ; il reste seulement une espèce de donjon du XV° siècle, qui faisait partie du château de Ferrières. Ce château a appartenu d’abord au seigneur de Beaufort, puis à la famille de Turenne. C’est là qu’est né, le 15 janvier 1526, François III, vicomte de Turenne. Il fit ses premières armes en Italie, sous François de Bourbon, qui l’arma chevalier en 1544, après la bataille de Cérisoles, où il se distingua par ses prouesses. Il fut blessé à mort à la bataille de Saint Quentin, et mourut dans le camp des Anglais. Il avait épousé Eléonore, fille du connétable de Montmorency. La naissance de François de Turenne est le seul souvenir historique qui se rattache à Ferrières. Cette ville, du reste, n’est curieuse que pas ses environs et ses curiosités naturelles ; son église, tronquée et défigurée, est sans importance.

EXCURSIONS AUX ENVIRONS DE FERRIERES

Descendons d’abord le Sichon, dont les rives accidentées sont tour à tour garnies de vertes pelouses, ou ombragées d’arbres aux rameaux pendans. On commencera par vous faire remarquer la Source des fées, une haute cascade qui descend en mugissant  à travers les rochers, contre les angles desquels elle se brise et écume. Un peu plus bas, se trouve la Grotte des Fées. C’est une caverne qui s’enfonce dans la montagne à une très grande profondeur. Elle s’ouvre sur une jolie prairie ombragée de charmes et de chênes. L’entrée de la grotte est basse et étroite ; mais bientôt elle s’élargit et s’élève. Les parois en sont couvertes de stalactites qui pendent en aiguilles et brillent comme des girandoles. L’eau qui  suinte à travers la voûte dépose une matière calcaire qui se concrète. On se croirait transporté dans une de ces cavernes de l’Ecosse, ou  chaque goutte d’eau qui tombe augmente l’aiguille pendante et la stalagmite  correspondante qui s’élève du sol. L’ensemble de ces concrétions calcaires présente les formes les plus bizarres, que l’imagination anime suivant ses fantaisies. Ainsi un bloc allongé est sensé ressembler à une femme nue, enveloppée d’un linceul c’est la fée. Un magicien, rival de sa puissance, la poursuivait, dit-on ; pour lui échapper, elle se changea en pierre et prit les formes d ‘une nymphe. Dans le fond de la grotte, une masse de rochers suspendus à la voûte est regardée comme l’Atlas chargé de porter sur ses épaules le plafond de la caverne. Enfin, un énorme bloc placé en vedette à l ‘entrée de la grotte est décoré du nom de Chameau.

Du reste, c’est le pays des créations fantastiques ; l’imagination règne en reine toute-puissante dans ces montagnes, et la chose est toute simple. Les populations de cette extrémité du Bourbonnais, habitant des villages inaccessibles aux étrangers, perdus qu’ils sont au milieu des bois, à sept ou huit cents mètres au-dessus du niveau de la mer, entourée des merveilles de la nature, loin de tout centre de civilisation, sans aucune instruction, expliquent par l’intervention d’êtres  surnaturels tous les phénomènes dont la cause échappe à leur intelligence. Chaque lieu que vous visiterez sera l’objet d’une légende.

Remontez le Sichon, et vous trouverez une autre grande et tumultueuse cascade, sous le nom de Gour Saillant et de Pierre Encise. On appelle ainsi une énorme muraille de rocher qui descend des revers opposées de deux montagnes, séparées l’une de l’autre par une vallée que rafraîchit le Sichon. Cette muraille semble avoir été coupée de main d’homme à sa partie inférieure, pour laisser écouler les eaux d’un lac supérieur ; on dirait une digue rompue. Deux fées, dit-on, mécontentes des habitants de Ferrières, résolurent de submerger la ville. Pour mettre à exécution ce beau projet, elles jugèrent qu’il serait à propos de rassembler dans la vallée une grande masse d’eau que devaient retenir les Pierres Encises ; mais il fallait une bonde colossale à cette gigantesque chaussée ; les fées ne trouvèrent rien de mieux que de s’emparer du roc Saint-Vincent, la sommité d’une haute montagne ; mais au moment où elles  voulaient l’emporter, l’une d’elles blasphéma le nom de Dieu, et aussitôt elle tomba et se cassa le bras. C’est ainsi que Ferrières fut sauvé, et que le roc Saint-Vincent ne perdit pas sa haute position au-dessus des pays d’alentour.

De Pierre-Encise au  roc Saint-Vincent, il n’y a pas loin ; c’est un but de promenade  pour tous les amateurs de pittoresque. On passe tout prés du village de la Pommerie, habité par une honorable famille, qui vit d’une manière toute patriarcale, au milieu des peuplades de montagnards. Au plus haut point d’une montagne, on voit une énorme masse pyramidale de rochers, inclinée au sud, et n’ayant pas moins de cent pieds de haut. Cet immense rocher qui élève ses crêtes saillantes à une si prodigieuse hauteur, ressemble beaucoup aux amoncellements de granit de Toulx-Sainte-Croix, sur les frontières de la Marche. Tout le versant de la montagne est couvert d’énormes blocs superposés, qu’on ne peut comparer qu’a  ces gigantesques amas de grès de la forêt de Fontainebleau.

La base du roc Saint-Vincent se prend au milieu des foiteaux qui forment autour de lui d’ombreuses charmilles. Le sol est tapissé de mousse et de gazon. On arrive au sommet du roc par un sentier étroit et difficile. Enumérer tous les pays que le regard peut embrasser à tous les points de l’horizon est presque impossible. C’est un des plus beaux spectacles dont on puisse jouir. Les montagnes, les vallées, se succèdent dans un lointain profond. Quand l’œil plonge dans cette immensité, les villes et les villages apparaissent dans l’espace, comme une fleur sur le tapis d’une verte prairie ; les cours des rivières semblent être de minces filets argentins qui brillent en serpentant, et vont se perdre  dans l’azur des montagnes ; et les montagnes, elles-mêmes, n’ont plus que des formes indécises et flottantes, qui se confondent avec les nuages. Le jeu de la lumière n’est pas moins prestigieux : d’un coté, les rochers étincellent et la  verdure  des campagnes est claire et transparente ; de l’autre coté, quand les nuages sont placés entre la terre  et le soleil, les champs prennent une couleur plus foncée, et semblent enveloppés dans un voile sombre.
Mais c’est surtout par un beau soleil couchant qu’il faut monter sur le roc Saint-Vincent. Toutes les montagnes qui bordent la vallée de l‘Allier, avec leurs pics aigus, deviennent plus transparentes. La contrée qui touche aux  frontières de la Marche et du Berry semble être submergée par un océan de feu ; tandis que du côté opposé, les montagnes sont revêtues d’une teinte sombre et mélancolique. Assis sur la crête du rocher, c’est à peine si le bruissement de la brise à travers le feuillage vient troubler les rêveries de l ‘homme qui essaie de percevoir ainsi, dans l’isolement, les grandes harmonies de la nature.
Au sommet du roc Saint-Vincent on voit encore des vestiges considérables de vieilles constructions. Là, sans doute, était un donjon formidable et inaccessible. Quelques restes de murailles d’enceinte, et une citerne carrée, sont très-reconnaissables. C’était le château de Puy-Ramon ou de Pyramont ; à côté était celui de Greffier. Les seigneurs qui les ont habités étaient très redoutés dans toute la contrée. La légende rapporte que ces seigneurs avaient toujours été vainqueurs dans tous les assauts qu ‘on avait dirigés contre eux. Un baron voisin les provoqua pourtant dans un combat singulier qui devait avoir lieu en rase campagne. Les deux seigneurs de Saint-Vincent s’arment de pied en cap et sortent de leur aire crénelée ; mais à la montée de Mounier, leurs chevaux s’abattent et s’agenouillent. Cet accident semble de  mauvais présage aux deux guerriers. Ils retournent à leurs châteaux pour embrasser leurs femmes une  dernière fois. Ils furent, en effet, vaincus et tués sur la place. On dit que c’est leur sang qui a rougi le sol ferrugineux d’Isserpent ou se trouve, sur la limite de Châtel-Montagne, un vaste champ désigné sous le nom de Terres Rouges.
Entre les deux châteaux, au levant du roc, se trouvait une petite chapelle dédiée à Saint Vincent. Elle renfermait la statue du saint qui donnait son nom au rocher, et qui existe maintenant dans l’église de Ferrières. Mais ce n’est pas sans peine qu’on la possède, disent les gens du pays ; car trois fois on l’apporta dans l’église, et trois fois elle retourna à sa montagne de prédilection. Ce n’est  qu’à la quatrième fois qu’elle voulut bien se résigner à occuper sa nouvelle niche.
Enfin, on prétend que de précieux trésors étaient cachés dans le château de Pyramont, et commis à la garde du diable et des ses acolytes, qui chassaient à coups d’épieux les individus qui tentaient d’enlever ces richesses. Cependant, une personne ayant vendu son âme aux chefs des malins esprits, obtint la possession d’une grande partie de ces biens tant enviés, et chargea dix-neuf mulets de ce qu’elle put en prendre. J’ai entendu dire par un vieillard, à figure sévère, que ces trésors se composaient de deux gueuses d’or, et qu’il en reste encore une.
Mais s’en rendre maître n’est pas une tentative facile, bien qu’il ne soit pas nécessaire de faire un pacte diabolique. La caverne, dans laquelle ce trésor est renfermé, s’entrouvre tous les siècles une fois, le jour des Rameaux, pendant que le prêtre, au retour de la procession, pratique les cérémonies en usage pour faire ouvrir les portes de l’église. Ce jour donc, on peut entrer dans la caverne et puiser à cet autre Pactole ; mais au moment où l’église s’ouvre, l’antre se referme, et malheur à l’homme cupide qui s’y trouverait dans cet instant ; le soleil ne se lèverait plus pour lui. Une circonstance étrange, c’est que les années pendant lesquelles ce trésor est accessible ne se succèdent pas à des intervalles de temps égaux ; on a vu, dans l’espace de deux cents ans, la grotte s’ouvrir deux années de suite. Une femme, qui voulait lancer un des ses enfans dans la carrière de fortune, entra dans la caverne avec son dernier né à la mamelle, et le posa sur un monceau d’or, pour remplir son tabler de des fragmens du précieux métal ; heureuse de tant de richesse, elle les porta, en toute hâte, à sa demeure, et revint bientôt pour reprendre son enfant, un trésor non moins précieux ; mais la caverne souterraine s’était refermée. La pauvre femme, pendant une année, fut en proie au plus violent désespoir ; elle se croyait séparée pour l’éternité de ce qu ‘elle avait de plus cher au monde ; mais, comme si Dieu eût pris pitié des larmes et de l’affliction  de cette mère désolée, la caverne se rouvrit l’année suivante ; cette femme rendit bien vite l’or qu ‘elle avait si ardemment souhaité, reprit son enfant qui n’avait pas bougé de place, et qui avait vécu, comme par miracle, dans cette ténébreuse retraite, et elle put encore l’abreuver à sa mamelle non tarie.


« L’Ancien Bourbonnais »
(Histoire, monuments, mœurs, statistiques)
Par Achille Allier